Nature & Psyché
- lorainebieler
- 5 févr. 2024
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 3 avr. 2024
Entrons en contact avec l’environnement naturel
« Le tronc ridé, taché
Qu’étouffe, à force, le lierre du Temps,
Si l’effleure une rose, reverdit. »
Philippe Jaccottet, Cahier de verdure
De tous temps, les communautés humaines ont honoré la nature pour son effet équilibrant et son pouvoir de guérison. Selon les traditions anciennes, la Terre nous porte comme une mère et prend le temps qu’il faut pour s’occuper de notre rééquilibration après un déséquilibre. En ce sens, l’expérience de la nature peut être transcendantale.

L’expérience récente d’un confinement imposé a mis en évidence une sorte de vécu de choc surtout dans les régions où le périmètre de sortie étaient très limités. En se référant à cette période, nous pouvons nous poser ces questions : durant ce laps de temps inédit, ai-je ressenti un manque de nature ? Quelque chose en moi me poussait-il à vouloir sortir, me balader en nature ? Comment puis-je décrire ce ressenti ?
Inspirée par la lecture du livre de Michel Le Van Quyen (1), paru récemment, ainsi que par mon expérience personnelle et professionnelle de pratiques thérapeutiques dans un environnement où la nature est prépondérante et inspirante, je vous livre ici mes réflexions et pensées.
Aujourd’hui, les trois quarts des occidentaux vivent dans les villes ou dans leur périphérie, autrement dit un environnement où il manque souvent de nature simple et vaste. Le lien avec elle risque fort de se perdre si l’on n’y fait pas attention, si on ne le cultive pas.
Alors, régulièrement, interrogeons notre lien :
Est-ce-que l’environnement dans lequel je vis me convient ?
Me ressource-t-il ?
Me permet-il de me détendre ou de grandir ?
Est-ce-que je ressens le besoin d’aller me promener ?
Quelle est actuellement mon lien avec la nature ?
Suis-je ouvert à recevoir quelque chose de la nature ?
Quelle résonnance y a-t-il entre mon corps et les plantes, la terre ou les animaux ?
Quelles sont les qualités de la nature qui pourraient me soutenir dans cette période de turbulences ?
La nature, ce reflet de notre corps
Avez-vous déjà croisé une de ces illustrations comparant la structure du cerveau à celle d’une noix ?

Les similitudes sont étonnantes entre les coupes anatomiques du cerveau ou des poumons, nos vaisseaux, nos villosités intestinales, par exemple, et diverses images en ramifications qui se retrouvent dans les milieux naturels tels que les rhizomes, les racines, les branches, la structure des feuilles ou les coraux ; ou entre la structure d’un arbre avec son tronc, ses racines et ses branches, et la structure d’un corps humain.

On ne peut éviter de penser aux « neurones miroirs », découverts chez le macaque par G. Rizzolatti dans les années 1990 (1). Rizzolatti postule qu’il existe des groupes de neurones qui s’activent aussi bien lorsque on fait une action que lorsqu’on regarde un autre faire la même action. Comment la nature interagit-elle avec nos structures neuro-cérébrales ? Il se pourrait qu’il y ait une voie neuronale médiée par la vision (ou un autre de nos sens) qui nous permette de nous identifier, par le biais des neurones miroirs, aux courbes de la nature, puisqu’elles ressemblent tant, parfois, à celles de notre corps.
La nature, ce miroir de soi
La nature recèle une quantité impressionnante de qualités, que nous nous trouvions dans des paysages calme, vigoureux, bruyants ou puissants : la présence, la solidité, la persévérance, la fluidité, l’invincibilité, la force, la douceur, la sagesse, la beauté, l’authenticité, la créativité, l’inapprivoisé, l’adaptativité, l’évolutivité, la vitalité, la sociabilité. Ces facettes nous enseignent, nous révèlent ce qui se vit en notre for intérieur à ce moment précis où nous nous mettons en résonnance. Comme une source d’inspiration esthétique, spirituelle. Cet univers peut nous refléter, nous révéler, nous mettre face à certains aspects de nous-même, nous renvoyer au présent de notre intériorité.
Et c’est par l’expérience sensorielle (sonore, olfactive, visuelle, tactile et gustative) que nous entrons en contact avec cet environnement. En ce sens, si nous nous permettons d’explorer et de reconnaître la nature qui se trouve à côté de nous, nous pouvons nous offrir une expérience inédite et profonde de contact avec soi-même grâce à la présence de la nature.

Le début timide des études publiées
Bien sûr, beaucoup de gens se sont lancés dans l’exploration de soi à travers la nature puisque c’est un comportement humain atavique. Au préalable, enseignée par des guérisseurs indigènes, cette manière de se soigner a été reprise démesurément par le milieu du new-age dans les années 1960-70, ce qui a produit chez les gens communément insérés dans une société rationnelle et structurée, un contre-effet, une sorte de réaction d’aversion à toute pratique en nature qui déborderait le simple cadre d’une balade ressourçante. Oui, qui, encore de nos jours, ne sourit-il pas en coin, de gêne ou de moquerie, quand on lui parle d’embrasser les arbres ou de faire un bain de nature ?
Pourtant, ces pratiques de soin en environnement naturel* sont en train d’émerger et de faire leurs preuves lorsqu’elles sont passées au crible de la recherche scientifique. Depuis peu, quelques chercheurs se sont attelés à le prouver, tout-au-moins à montrer l’évidence de certains des bienfaits de la nature sur notre équilibre psychocorporel. Des études montrent une réduction du stress, du troubles anxieux et des troubles du sommeil, du TDAH et des symptômes dépressifs (2) ; ou une amélioration de la mémoire et de l’humeur chez les personnes souffrant de dépression (3). La vue d’un beau paysage allume la même zone du cerveau que celle qui est activée lorsque nous tombons amoureux (4). La domapine (neurotransmetteur) relarguée produit un effet de plaisir intense, apaisant les pensées et les émotions.
Sait-on comment la science explique ces phénomènes de lien entre la nature et l’humain ? La recherche est encore à ses débuts, cependant, il est communément admis que ce serait, entre autres, le fait de substance volatiles, les phytoncides. Ces dernières sont produites par les d’arbres et leur servent à communiquer entre eux par signaux chimiques, les renseignant ainsi de changements dans leur environnement, de menaces aussi. Elles stimuleraient notre amygdale du cerveau, le petit organe s’occupant de la gestion des émotions, et auraient aussi un impact important sur le système autonome parasympathique (responsable de la détente du corps).

Les bains de forêt
Au Japon, les « bains de forêt » (shinrin-yoku) existent officiellement depuis les années 1990. Ils ont été mis en place suite à une avalanche de décès par suicide ou par maladie cardio-vasculaire imputés à une surcharge de travail. Des forêts thérapeutiques ont vu peu à peu le jour. Il existe aujourd’hui une soixantaine de forêts à but thérapeutique (« bain de forêt ») au Japon et aussi en Corée du Sud autour des grandes villes. Pour avoir un impact sur les symptômes dépressifs, il suffit de suivre la consigne suivante : marcher très lentement en faisant des pauses, porter son attention sur les stimulations que provoquent sur nous l’environnement, les arbres (son, odeurs, tactilité de la peau, vision couleurs), être présent avec tous ses sens. C’est en fait une reprise, appliquée dans un environnement naturel, de la pratique de pleine conscience développée par Jon Kabat-Zinn (5), qui a fondé, en 1979, la clinique de réduction du stress à faculté de médecine de l'Université du Massachussetts (USA).
Exercices pratique en Nature :
1/ La nature te regarde : Lors d’une promenade en forêt, ralentir le rythme tout en continuant à marcher. Inverser les rôles : au lieu que cela soit vous qui admiriez la nature, laissez-vous admirer par la Nature. Voyez comment les arbres vous regardent, ce qu’ils voient de vous, ce que vous leur montrez de vous, ce qu’ils peuvent percevoir. Et attardez-vous à en prendre conscience et voir comment cela vous parle.
2/ Tu te fonds dans la nature : Choisissez un endroit dans qui vous inspire, assez-vous (sans trop écraser d’insectes !), à pied-nus si le cœur vous en dit. Observer très attentivement TOUT ce qui se trouve dans un rayon d’1 mètre autour de vous. Les différentes plantes, les différentes feuilles, fleurs, l’activité des insectes, la texture de la terre, les cailloux, leur couleur, l’ombre, la lumière, la variété de couleurs. Fermez les yeux et laissez-vous toucher par les sons, les odeurs qui arrivent vers vous. Rouvrez les yeux et levez-les à l’horizon, qu’y percevez-vous ? Puis regardez au-dessus de vous, que voyez-vous ? Puis, fermez les yeux et laissez-vous sentir ce qui vous vient, visions, prises de conscience, inspirations, envies. Sentez comme votre état s’est modifié maintenant que vous avez rencontré intimement votre environnement immédiat avec vos sens.
* Définition d’environnement naturel : écosystème qui inclut tous les règnes.
Références :
« Cerveau et Nature », M. Le Van Quyen, Flammarion, 2022
« Nature and mental health : an ecosystem service perspective », GN Bartman, CB Anderson, MG Berman, et al., Science advances, 5 (7), 2019, pp 1-14
« Interacting with nature improves cognition and affect for individuals with depression », MG Berman, E Kross, KM Krpan, et al., Journal of Affective Disorders, 140(3), 2012, pp. 300-305
Zeki S., «neurobiology and the humanities», Neuron. 81 (1), 2014, pp. 12-14
Kabat-Zinn J., L’Éveil des sens (trad. de l'anglais), Paris, Les arènes, coll. « Documents », 2009, 450 p.


